Benjamin Saada (Expliseat / Fairmat ) : La deep tech au service de la planète

Benjamin Saada — Fondateur et CEO de Fairmat, co-fondateur et Président d’Expliseat - ©Fairmat

 
 

Oculus® ce sont des interviews pour garder l’oeil sur les marques remarquables, les #dnvb ou les entrepreneurs qui font bouger les lignes. Ce sont des échanges pendant lesquels on prend le temps d’aller au fond des sujets et le temps de comprendre l’état d’esprit d’un entrepreneur du changement.

Benjamin Saada fait partie de cette Grande vague d’innovation de rupture, alimentée par les technologies émergentes et une nouvelle approche entrepreneuriale. Comme le rappelle le rapport du BCG, l’impact économique, commercial et social de la Deep tech se fera sentir partout, car les ces startups visent à résoudre bon nombre de nos problèmes les plus complexes. Certaines sont déjà très connues, comme Moderna ou SpaceX, la plupart beaucoup moins, mais toutes ont pour point commun d’être axées sur les solutions la résolution de problèmes importants et fondamentaux. Ainsi, 97% des entreprises de la Deep Tech contribuent à au moins un des objectifs de développement durable de l’ONU. Autre point commun, ces startups opèrent à la convergence des technologies : 96% des entreprises de deep tech utilisent au moins deux technologies et 66% utilisent plus d’une technologie de pointe. Environ 70 % des entreprises de technologie profonde possèdent des brevets sur leurs technologies. Autre similitude : elles développent principalement des produits physiques plutôt que des logiciels. En fait, 83% des startups de Deep Tech sont engagées dans la construction d’un produit physique.

Bien qu’elles représentent une petite minorité de startups, les entreprises de la deep tech ont un impact démesuré, car elles s’attaquent à des problèmes à grande échelle et parce que leur travail est à la fois futuriste et pratique.

En interrogeant Benjamin Saada, j’ai voulu comprendre ce qui se passait dans la tête d’un acteur visionnaire du changement positif, en quête de solutions pragmatiques pour accompagner l’industrie à se repenser dans de nouveaux modèles vertueux.

 

Viviane : Benjamin, c’est difficile de ne pas avoir entendu parler de toi tant tu es un acteur majeur de la French Tech aujourd’hui. Est-ce que tu veux bien néanmoins revenir sur ton parcours académique un instant pour ceux qui te découvrent et expliquer les choix qui ont été les tiens à partir de ta prépa ?

Benjamin : J’ai fait mon lycée à Marseille, au Lycée Tiers. Et tu sais, il n’y avait pas énormément de débouchés quand tu n’étais pas à Paris ou en Ile de France. Principalement, c’étaient les professions libérales qui étaient la voie royale. Mais j’adorais les sciences et je me suis retrouvé en prépa un peu par hasard puisqu’à l’époque, il n’y avait pas encore Parcours sup et que les choses pouvaient se décider un peu au dernier moment. C’est mon professeur de physique qui m’a grandement conseillé de faire une prépa et je t’avoue, je ne savais pas vraiment ce que c’était. Mais je savais qu’on y faisait des sciences. C’est ce qui m’intéressait, donc, j’ai fait une prépa physique-chimie. Et la vie est faite comme ça : j’ai rencontré en prépa mon futur premier associé Jean-Charles Samuelian-Werve, on était amis depuis longtemps, mais là en étant dans la même classe, on est devenus super potes. — Viviane : Jean-Charles, le co-fondateur d’Alan, une belle licorne française, c’est une autre grande figure de la French Tech, tu vas nous raconter ça ! — Oui. Ce qui s’est passé, c’est que mon prof de chimie m’a inscrit aux Olympiades internationales de chimie, qui sont une sorte de jeux olympiques de la chimie, dans le sens où même si c’est assez loin du sport, ça reste très compétitif et international. J’ai été pré qualifié, ce qui m’a permis de venir à Paris, visiter les Grandes Écoles. — Viviane : Tu avais soumis quel genre de projet pour ta qualification ? — Ce ne sont pas des projets, mais des épreuves, des examens. En France, il y avait 10 personnes sélectionnées en France. Et dans la deuxième phase du concours, on se préparait dans les Grandes Écoles. J’ai découvert Polytechnique, les Mines et c’est comme ça que j’ai rencontré Vincent Tejedor mon autre associé. — Viviane : Est-ce que tu avais un mentor dans chaque école, avec des professeurs qui vous prenaient en charge — Exactement. — Viviane : superbe expérience à 18 ans. — Oui, et j’ai rencontré de grands chefs de labo, des lauréats du concours du CNRS, qui pendant une semaine nous ont fait cours et nous ont permis de travailler dans leurs labos. — Viviane : Les yeux dans les étoiles, j’imagine ? — Oui, c’était fantastique et surtout pour moi, ça a été une énorme ouverture d’esprit parce que déjà, tu passes de Marseille à Paris. Et puis c’était le tout début de mon expérience scientifique et c’est là que finalement j’ai rencontré mes deux premiers associés donc ça reste un super moment. À la suite de ça, j’ai décidé de passer les concours scientifiques aux Grandes Écoles et je suis rentré à l’École des Mines. J’étais super heureux de rentrer dans cette école, très généraliste. Et comme tout jeune étudiant qui a un peu peur de faire des choix, j’étais content de partir dans une école où il ne fallait pas choisir. (gros éclat de rire.) — Viviane : excellent !

Viviane : Est-ce que tu avais déjà une conscience écologique à ce moment-là ?

Benjamin : Je pense que j’avais des valeurs éducatives assez fortes, mais dans le fond, c’est plus large que ça. L’écologie, c’est mon terrain de jeu scientifique, mais ça a pu s’exprimer parce que j’avais reçu des valeurs plutôt très humanistes. J’ai été éduqué comme ça par mes parents, très dans le respect et beaucoup dans l’idée que tous ensemble, globalement, on fait des choses un peu mieux que tout seul. Et finalement, c’est ce qui m’a conduit dans un premier temps, à aller vers l’industrie. Parce que j’ai quand même choisi, après ma première année d’école, de me spécialiser dans le management industriel et l’excellence opérationnelle. C’est-à-dire, comment on organise les sites de production, comment on fait travailler des gens ensemble selon le type de production pour fabriquer des choses, ce qui peut sembler assez loin de l’écologie. Cette découverte m’a permis de voyager dans beaucoup de pays puisque j’ai été amené à travailler en Thaïlande, en Chine, aux États-Unis, et en Angleterre également. Tellement de cultures différentes. Ça m’a permis de découvrir qu’il y avait énormément de gaspillage dans la production industrielle. Et je me suis aperçu que l’industrie, il faut l’avoir en tête et le réaliser, ce sont des temps longs : il y a une inertie. Donc, il y a toujours un décalage entre ce qu’est l’usine maintenant et la sociologie actuelle parce que ce sont des cycles longs. — Viviane : Est-ce que tu évoques le délai très long entre la réflexion préalable sur l’opportunité d’un site industriel et sa mise en service opérationnelle ? — Effectivement, un site industriel met des années à se construire et va durer des années aussi. Quand j’arrive en 2010 et que je vois les sites de fabrication en Asie, par rapport à ce que peuvent être les valeurs d’un jeune aujourd’hui sur le respect, l’écologie, la pollution, etc… c’est vrai que je suis surpris, il y a un énorme décalage. — Viviane : Si tu devais faire un rapport d’étonnement, qu’est-ce qui t’a le plus surpris, si tu as deux ou trois exemples ? — Il y a trois choses qui m’ont beaucoup surpris dans mon expérience asiatique. La première, c’était que le niveau de sophistication était finalement bien meilleur à celui qu’on voyait en Europe. La sophistication technique était incroyable, la robotisation, l’automatisation, la gestion, la digitalisation… tout était en avance. La deuxième chose qui était surprenante, c’était que les déchets, la pollution… c’était le cadet des soucis des gens. Ça, c’était en 2010. Mais il ne faut pas oublier, à cette époque-là, l’industrie en Asie, quelle qu’elle soit, sortait des continents entiers de la famine. Il n’y a pas si longtemps, 20, 30 ans, leur mission c’était de produire le plus possible. — Viviane : C’est vrai qu’on a tendance à oublier souvent que tous ces pays sont passés en quelques dizaines d’années de niveau 1 (extrême pauvreté avec un niveau de revenu faible), à niveau 3 (pays industrialisé avec un niveau de revenu moyen) et parfois niveau 4 pour certains comme la Corée du Sud ou la Malaisie effectivement. — Oui, et cette expérience-là m’a démontré qu’on ne peut pas avoir de jugement. On peut s’étonner, on peut comparer, mais on ne doit jamais rentrer dans le jugement, je pense. Et d’ailleurs, le jugement est très néfaste en matière de progrès écologique. C’est vraiment une erreur. Et là, quand on parle de l’Asie en 2010, beaucoup de gens avaient connu la famine, dans des populations en nombre d’individus qui sont énormes et ces gens-là leur première mission, c’est de ne plus jamais vivre ça. Donc, ils se donnent à fond pour produire le plus possible et faire en sorte que plus personne ne manque jamais de quoi que ce soit dans le pays. Écoute, c’est tout à fait respectable. — Viviane : C’est un fait. Il n’y a aucune raison de juger. Ça a dû secouer ta vision du monde, ton cadre. — Ça, et puis se dire, bon je rentre avec toutes ces expériences en France pour finir mes études et je me dis qu’on doit pouvoir intervenir sur ces notions de gaspillage total de déchets qui sont rejetés par les usines, et que la conception des produits est parfois hallucinante.

Viviane : Est-ce qu’il existait déjà des bureaux d’éco-conception responsable pour les industries que tu adresses, aéronautique, éolienne ? Automobile ?

 
 

Le Prix Entrepreneuriat MINES ParisTech Criteo décerné en 2015 à Benjamin Saada pour Expliseat — ©Les Mines Paritech

 
 

Benjamin : Peut-être. La réalité, c’est que la première société que j’ai créée Expliseat a retiré 2 tonnes de masse dans un avion qui pèse 60 tonnes. [Fondée en 2011 par Benjamin Saada, Jean-Charles Samuelian et Vincent Tejedor, Expliseat a acquis sa notoriété par la conception d’un siège d’avion ultraléger, le TiSeat, fait de titane et de fibres de carbone composites renforcées.] C’est 3 ou 4 % du poids total. Et c’est seulement une équipe de jeunes diplômés de 23 ans à l’époque, sans expérience professionnelle, entourés d’une équipe de 5 ou 6 investisseurs, à ce moment-là qui croient en nous et nous donnent très peu d’argent comparé à ce qui se fait aujourd’hui. Donc, au départ, personne n’était trop concerné par les sujets environnementaux, mais plus par les sujets de gaspillage, de responsabilité, d’éco-conception, de responsabilité sociétale en fait. Et personne n’a conscience de ça. Pourtant, je n’étais pas une personne singulière dans ma promo ou parmi mes amis. C’est un peu l’histoire du robinet d’eau quand on se brosse les dents : aujourd’hui personne ne laisse le robinet d’eau ouvert quand il se brosse les dents, quelle que soit sa culture. Mais quand j’avais 5 ans, mes parents laissaient l’eau couler en se brossant les dents. C’était un peu ce décalage-là que l’on observait dans l’industrie. On était déjà passé dans un autre monde où l’on commençait à se poser des questions sur la consommation d’essence des voitures, le tri, tout ceci commençait à émerger dans les consciences alors que dans le monde professionnel ça n’existait pas encore.

Viviane : Est-ce que tu ne penses pas qu’il y avait une espèce de lieu commun qui consistait à penser que ça revenait moins cher de gaspiller du point vu industriel ?

Benjamin : Ça revient bien plus cher de gaspiller. En revanche, c’est beaucoup plus simple de le faire. Ça demande beaucoup d’énergie, beaucoup de valeurs humaines de ne pas gaspiller. Mais c’est beaucoup plus cher. Dans la mode, tu constates que les produits sont plus chers quand ils sont éco responsables. Mais ça peut être tout à fait rentable. Cela dit, je pense que tout le monde a conscience aujourd’hui que ne pas faire les efforts sur le plan environnemental, c’est une véritable erreur économique. Et de manière plus profonde, les investisseurs sanctionnent très lourdement les entreprises qui ne font pas d’efforts écologiques. — Viviane : C’est très récent. — Oui, mais c’est instantané. (rires) — Viviane : C’est sûr qu’il n’y a pas plus puissante motivation que la sanction. — C’est d’ailleurs très intéressant de voir que le monde capitaliste tel qu’on l’imagine, c’est-à-dire les investisseurs financiers, donc, ce qu’il y a de plus capitaliste dans la sphère du capital, sanctionnent plus lourdement et ont donc un réel pouvoir de sanction fort vis-à-vis des entreprises. Je pense qu’aucun chef d’entreprise ne te dira que c’est rentable de gaspiller et que ça lui coute de l’argent de faire de l’écologie. On a parlé de processus écologique au début de notre conversation (et je rappelle qu’on n’est pas dans le jugement de ce qui se fait aujourd’hui), et le deuxième point important dans cette réflexion c’est qu’il faut absolument associer une démarche écologique à une démarche économique. On est encore dans un monde drivé par l’économie et ça marche très bien, c’est tout à fait faisable et c’est très sain. Sinon, ça serait un pur acte civique et là j’y crois moyennement.

Viviane : On va faire une petite parenthèse, un petit pas de côté. Tu connais la théorie de Donut ? C’est ce cadre économique qui a pour visée de remplacer l’objectif économique général de croissance par un objectif de stabilisation de l’activité économique entre 2 « frontières » : celle des besoins humains de base, comme « plancher » et celle de la préservation de l’environnement comme « plafond ». Est-ce que tu penses pouvoir t’inscrire dans ce courant de pensée ?

Benjamin : Au risque d’être un peu pessimiste, on ne change pas complètement tant qu’on n’aura pas changé le paradigme conceptuel. On voit bien que les objectifs 2050 sont passés à 2070 et maintenant tous les ans, on rajoute 20 ans. On n’arrive pas à atteindre les objectifs avec la vision que l’on a actuellement. C’est cette vision “on doit consommer pour produire” qui n’a plus lieu d’être. Fairmat dont on va parler, c’est une création de valeur, c’est une création écologique à plein régime. Bien sûr, on a un impact aussi, mais il y a des façons de faire qui sont devenues très différentes. Les notions de croissance ou décroissance ne sont pas bénéfiques pour réussir une transition. C’est à nouveau une notion de jugement. On part du principe que pour faire ce changement, il va y a voir un impact positif et un impact négatif et du coup à chaque fois, il y a un énorme débat « est-ce que l’impact positif est supérieur à l’impact négatif ? ». Je pense qu’il faut aller se tourner vers de nouvelles technologies et de nouveaux modes de pensée, des nouveaux modes de réflexions et c’est ce qui va se passer puisqu’on n’a pas le choix. Ces nouveaux modes de réflexion ne vont pas dire que pour faire plus, il faut faire moins, ils vont être capable de complètement casser le paradigme supprimer/ajouter. Par exemple : Fairmat c’est potentiellement une économie de 1 an de CO₂ de 7 milliards d’individus, c’est-à-dire un an de CO₂ pour la planète. Si on fait deux fois mieux, c’est peut-être 2 ans. Il y a bien 10 sociétés comme Fairmat sur terre. Ça veut dire qu’il y a 20 ans de CO₂ qu’on peut déjà, par la tech, proposer « en buffer » pour atteindre les objectifs de 2070. C’est déjà pas mal. Après, bien sûr, les spécialistes, les climatologues vont te dire qu’il n’y a pas que ça et ils auront raison. Cependant, je connais un vivier de startups technique et technologique au niveau de la planète qui propose de nouvelles solutions. Il y a d’autres solutions que de se dire qu’on va arrêter de consommer du fuel. De toutes les façons, les gens veulent le faire et ça ne marche pas. Donc il faut aller sur de nouvelles technologies, de nouveaux paradigmes et il faut faire des choses qu’on n’a jamais faites avant. Et surtout il faut laisser le temps aux technologies de devenir matures.

Viviane : Je reboucle avec ce qu’on se disait avant cette parenthèse. Comment après vos études, vous êtes amenés avec Jean-Charles et Vincent à créer Expliseat ?

Benjamin : Expliseat, finalement, je n’avais pas réalisé la nouveauté à l’époque et je ne l’ai réalisé qu’avec nos clients au fil du temps. Parce que Expliseat, c’est une société qui développe un siège d’avion, sauf qu’on ne vend pas seulement un siège d’avion, on vend surtout une économie de carburant. C’est une pratique business assez classique, ça s’appelle le Total Cost of Ownership : le coût total d’acquisition des sièges moins l’économie de carburant qu’on génère. Sauf que ça, c’est une rupture de business modèle. On vient dans l’aéronautique vendre un produit, non pas pour sa fonction principale, qui est de s’assoir en toute sécurité et confort dans un avion, mais par rapport aux externalités qu’il génère : une économie de carburant et une économie de CO₂. A l’époque c’est perçu comme relativement révolutionnaire parce qu’il y a un cycle d’achat et une vision dans l’aéronautique, qui est très différente. Pour les gens de l’aéronautique, les sièges, c’est soit un endroit pour s’assoir, soit un outil de marketing. En aucun cas on ne considère que ça peut être un outil d’économie de CO₂. On démarre donc dans un univers où on ne se comprend pas bien, puisque d’un côté nos clients voient nos sièges comme des produits basiques et nous on voit nos produits comme capables de déclencher une économie de CO₂. Pour les gens c’est simple de s’imaginer ce que c’est Expliseat, c’est 2 tonnes d’aluminium en moins dans un avion. Quand un avion équipé de nos sièges décolle, on soulève 2 tonnes de moins à 1000 km/heure. Mais au début, on a un peu de mal à les vendre. Et finalement, on se lance et on trouve notre marché auprès des compagnies régionales qui ont la même vision que nous et qui constatent de réels problèmes de poids dans leur avion et donc choisissent nos produits. L’ironie Ce qui est très marrant, c’est que je pense que nos produits sont encore plus rentables pour des compagnies traditionnelles qui font des vols moyens courriers. Mais à l’époque, elles ne sont pas en capacité de mesurer, elles ne s’intéressent pas encore à l’effet CO₂. C’est comme ça que nous avons démarré. Très vite, on prend des parts de marché très importantes dans l’aviation régionale et finalement, on arrive à faire ce saut et à rentrer dans l’aviation moyen-courrier. À nouveau, ce qui peut être un peu surprenant pour le lecteur, mais il faut en avoir conscience, c’est qu’aujourd’hui la zone géographique où Expliseat vend le plus c’est la Chine, qui a une politique concernant les émissions de CO₂ extrêmement déterminée. — Viviane : Voilà qui va à l’encontre du lieu commun qui tend à sous-entendre que la Chine est le pollueur de la planète.  On part de loin réalistiquement, mais la Chine a des politiques environnementales extrêmement agressives. Si l’on regarde par exemple Shanghai, ils ont mis en place il y a peu une politique drastique sur les émissions des usines, et en quelques semaines, ils ont fait un saut environnemental dingue. On vend très très bien en Inde également, qui est un pays très pollué. Ils ont mis en place des taxes sur le fuel très fortes pour inciter les compagnies aériennes à faire des économies de CO₂. Notre troisième marché est l’Amérique du Nord. Ces trois territoires sont en termes d’émissions de CO₂ devenues beaucoup plus stricts que ce qui peut être le cas aujourd’hui en Europe et heureusement, c’est en train de changer. Tu vois finalement, autre idée reçue, ça n’est pas là ou où s’y attend que l’on trouve les politiques les plus fortes en matière de CO₂. — Viviane : Absolument !


 
 
 

Viviane : Comment est partie cette idée de conception d’un siège économique en CO₂, qui a eu l’idée sur le trio ?

Benjamin : J’ai commencé à développer l’idée avant d’être rejoint au bout de 5–6 mois, mais ce projet est né à trois avec Jean-Charles et Vincent et c’est la résultante de nos trois personnalités qui a donné naissance à ce projet tel qu’il est. Après 3 ans environ Jean-Charles et Vincent sont partis, Jean-Charles pour créer Alan et Vincent qui est haut fonctionnaire est retourné dans la fonction publique. Là, je me suis retrouvé à développer commercialement l’entreprise tout seul et ce qui est très intéressant, c’est que les gens qui ont aujourd’hui les plus hauts postes de l’entreprise sont les premiers employés. — Viviane : Ils ont grandi dans l’entreprise. — Exactement.

Viviane : Tu es ingénieur de formation. Comment tu t’y es pris pour passer sur la partie commerciale et pour accéder aux VP de l’aéronautique pour vendre ton argumentaire ?

Benjamin : On a eu la chance, et c’est toujours le cas aujourd’hui, d’avoir un produit tellement différent, avec une technologie tellement forte — il y a plus de 100 brevets dans le patrimoine technologique d’Expliseat — que les clients sont toujours venus d’eux-mêmes. Et on s’est plus concentré effectivement sur le développement technique. Ça a quand même pris 10 ans pour développer notre technologie révolutionnaire. Et notre nouvelle gamme de produits sortie il y a 1 an est extraordinaire à tous points de vue : écologie, éco conception, confort, durabilité. — Viviane : Et de sécurité ? J’imagine que c’est un critère important pour des sièges d’avion.  Oui, mais en ce qui concerne la sécurité, on est tous au même niveau parce que les normes sont drastiques et ce sont les mêmes pour tout le monde. C’est très bien organisé dans l’aéronautique. Là où on fait la différence, c’est sur la durabilité, l’esthétique, le confort et surtout le côté environnemental, c’est notre fer de lance.

 
 
 

La philosophie de départ d’expliseat : “Un Siège, une pièce, un kilo” et un business model “On ne vend pas un siège, on vend une économie.” ©Expliseat

 
 

Viviane : Tu es toujours CEO et Président de la compagnie ou tu l’as cédée ?

Benjamin : Je ne l’ai pas cédée, je siège toujours dedans. Désormais, il y a un nouveau Directeur général qui est l’un des premiers collaborateurs de l’entreprise et qui effectue un travail superbe. On a été très impacté par les confinements successifs comme tout le monde. Et donc, on en a profité pour engager une diversification réussie. Cette diversification, qui sera prochainement annoncer, concerne de nouveaux moyens de transport, la mobilité légère, mobilité à hydrogène qui a besoin aussi de performance. On est en train d’ajouter à notre portefeuille aéronautique tout un tas de mobilité et c’est passionnant pour l’entreprise. C’est passionnant pour son impact et très valorisant de se dire que les technologies qu’on a développées d’arrache-pied depuis 10 ans, sont tellement en avance qu’elles sont demandées par les leaders tech dans le monde entier, par exemple, pour la mobilité à hydrogène. C’est génial de se dire que cette boite française fait des choses à la pointe qui sont désirées par des sociétés à l’autre bout du monde et qu’on est une référence mondiale dans ce type d’équipement.

Viviane : Tu dépenses quel pourcentage de ton chiffre d’affaires en R&D ? Est-ce que c’est interne ou externalisé ou un accord public/privé ?

Benjamin : On fait tout en interne et c’est la totalité de notre marge qui est investie dans la R&D. Ce qui est tout à fait normal, le marché Expliseat est un petit acteur. Avant la crise Covid, sur l’aéronautique uniquement, on avait 50–60 millions d’euros de carnet de commandes sur un marché qui faisait 1 milliard par an. Donc on a encore de la croissance à faire, on est encore aux débuts de notre aventure. On peut aller beaucoup plus loin et on va le faire parce qu’on a une ambition très forte. — Viviane : Aujourd’hui vous équipez les grandes compagnies internationales ou peut-être directement les constructeurs ? Est-ce que ce sont les constructeurs comme Airbus qui font les choix ? — Ça dépend, on est qualifiés par les constructeurs et on équipe les compagnies aériennes.

Viviane : Est-ce que l’idée de Fairmat a germé du fruit de ton expérience avec Expliseat ? Ou est-ce que quand tes associés sont partis, tu t’es mis à réfléchir toi aussi à une nouvelle aventure ? Comment ça s’est passé exactement ?

Benjamin : Non, quand les autres co-fondateurs sont partis, j’ai continué à développer Expliseat. Et ce qui s’est passé, c’est que nous avons développé nos sièges en fibre de carbone. Ce qui m’a fait connaitre cette industrie et c’est sur le tard que j’ai pris conscience que les déchets de fibre de carbone, de composite en fibre de carbone, étaient tous incinérés. — Viviane : Où est-ce qu’ils sont incinérés d’ailleurs ? — Alors pour le composite carbone, le matériau que nous recyclons avec Fairmat, il y a deux « solutions » si on peut appeler ça des solutions pour les déchets : soit ils sont incinérés, soit ils sont enfouis. — Viviane : Pas mieux — non ! C’est en fonction des législations nationales. En France, on les enfouit. En Espagne, on les incinère. Mais pour moi, il est impensable qu’on ne démarre pas une trajectoire vertueuse dans ces matériaux d’avenir dans lesquels le paradoxe est énorme. La France est probablement leader mondial technologique sur la fabrication de fibre de carbone neuve. Il y a seulement 4 pays dans le monde qui possèdent cette technologie : le Japon, les États-Unis, La France et maintenant la Chine. Il commence à y avoir une filière en Russie. — Viviane : Il y a une explication historique ? — Je ne sais pas te dire, mais ça vient de l’industrie textile puisque ce sont des fibres. La France était un grand pays dans l’industrie textile et une partie de son industrie s’est spécialisée dans la fibre carbone. — Viviane : La France est un pays exportateur ? — Je pense oui. Les deux plus gros fabricants, le japonais Toray et l’américain Hexcel qui sont de super gros concurrents d’ailleurs, ont leurs usines en France, dans le Roussillon pour l’un et dans les Pyrénées-Atlantiques pour l’autre.

Viviane : La fibre de carbone, on l’utilise comme tu le disais dans l’aéronautique, dans l’industrie automobile, dans la construction navale, pour les vélos et même les jouets. Elle est partout finalement sans qu’on s’en rende compte.

Benjamin : Reprenons notre histoire écologique. (Rires) La fibre carbone, c’est un matériau qui est complexe à fabriquer et qui est polluant.[1] Mais c’est un matériau qui est tellement performant, qu’à chaque fois qu’on l’utilise, c’est mieux. On ne peut pas rentrer dans un exposé de physique, mais si tu fais une éolienne en fibre de carbone, ça sera une éolienne qui produit plus d’énergie, quand tu fais un avion en fibre de carbone, il consomme moins de carburant, quand tu veux faire une voiture à hydrogène, la fibre de carbone, c’est le seul matériau qui puisse stocker de l’hydrogène pour les réservoirs. Donc, en fait, la fibre de carbone, c’est typiquement un progrès qui permet au monde de mieux fonctionner. Typiquement, on le retrouve dans les équipements sportifs de haut niveau. Évidemment, c’est un matériau très performant, mais c’est anecdotique. La réalité, c’est que 75 % de la fibre de carbone est utilisée pour des applications qui ont vraiment une vertu écologique extrêmement forte. Et donc, c’est génial… dans le système de pensée traditionnelle de l’industrie. Sauf que personne ne s’est préoccupé de la fin de vie de ces produits. Il y a une urgence, qui est de produire le plus de fibres de carbone possible pour que les éoliennes, les avions soient faits en carbone. Là, leur problème, c’est de produire le plus possible de fibres de carbone pour les voitures à hydrogène. S’il n’y en a pas assez, on n’aura pas ces voitures. C’est une technologie assez récente, et les entreprises se concentrent sur leur mission. Et elles ont intérêt à le faire parce que si elles ne le font pas, on va prendre du retard. Donc tout ça fonctionne parce qu’on n’a pas pensé à l’après-vie et qu’on se retrouve avec 190 000 000 tonnes de matériaux qui vont nous revenir dans les mains d’ici 50 ans, qui sont les futures éoliennes en fin de vie, qui sont les avions en fin de vie. Et c’est déjà le cas. Tu prends un A380, le programme a été arrêté, donc les avions vont être démantelés et un A380, c’est lourd, c’est des tonnes de matériaux, à peu près 60 tonnes de fibres de carbone par avion. Tu en as quand même près de 400 qui ont été fabriqués, donc tu vois, tout de suite on est dans des volumes énormes. — Viviane : Oui, ce n’est pas un petit trou au fond du jardin pour incinérer tout ça. — Et là, je fais une étude technologique et je me rends compte que toutes les technologies de recyclage actuelles sont toutes des technologies qui ne prennent pas en compte les émissions de CO₂. C’est-à-dire que ce sont elles-mêmes des technologies polluantes. Ce sont de très bonnes technologies dans le sens où elles sont capables de recycler des déchets et de refaire un produit qui s’apparente à de la matière neuve. Donc quelque part, l’ingénieur peut avoir le sentiment qu’il a rempli sa mission. Mais je ne suis pas d’accord avec ça. Je pense que le recyclage doit être écologique. Parce que recycler pour polluer n’a pas de sens. — Viviane : recycler en consommant massivement de l’énergie, effectivement, ça n’a pas de sens, mais c’est ce qui se produit le plus souvent dans toutes les filières. — Mais le recyclage a été pensé comme ça quasiment en temps de guerre, parce qu’on manquait de matières premières. Le recyclage n’a pas historiquement été créé pour une mission écologique. Cette notion n’existait même pas à l’époque. — Viviane : Certainement pas quand on fondait les monuments et les cloches des églises pour produire des canons. Comme tu le disais au début de l’entretien, il faut changer de paradigme. Il y a tout à repenser et vite dans le recyclage.

Viviane : J’imagine que vous avez trouvé le moyen de réfléchir et de faire autrement ?

Benjamin : Oui, chez Fairmat, on ne recycle pas un produit pour refaire le même produit. Et c’est ça, c’est tout l’enjeu. On fait un recyclage vertueux. Si tu veux faire la même chose, les gens qui le font depuis 60 ans, globalement, ils le font assez bien et donc si eux ils utilisent tant de CO₂ pour faire leurs produits, toi quand tu vas vouloir refaire, même si on part d’un produit recyclé, tu vas devoir en utiliser une fraction qui n’est pas négligeable. Nous, on prend ce composite carbone et on fait une nouvelle matière qui est différente, qui est un peu moins bien, qui n’est pas cher, mais qui garde les principes de légèreté et de performance qui permettent de l’utiliser dans des implications où elle aura de l’impact. Et là, ça a du sens. Tu peux faire ça en polluant beaucoup moins. C’est ce que nous appelons le recyclage vertueux. Je n’ai qu’un souhait, c’est que cette tendance, dont je ne sais pas si on la crée ou si on la suit, en tout cas que ça devienne le mode principal de recyclage. — Viviane : Oui, ou en tout cas, que ça entraine un nombre de réflexions conséquentes et de recréer toutes les filières dans cet état d’esprit. — Absolument, il y a de l’éco conception à faire et s’il y a bien un endroit où il faut le faire, c’est dans le monde du recyclage. — Viviane : Je repensais au cycle du recyclage du verre et à ce qu’il faut comme énergie pour le fondre et donc au CO₂ rejeté dans l’atmosphère, sans parler de toute la partie re formulation et transformation. — Écoute, je ne suis pas un spécialiste des filières recyclage traditionnelles, verre, papier… Mais il est certain que en tant que consommateur, ce qui m’intéresse le plus aujourd’hui, c’est d’acheter ce qui va polluer le moins. — Viviane : Est-ce que le sans packaging, le rechargeable, le vrac ou le solide pour la cosmétique, n’est pas la seule solution ? — Quand on peut, c’est sûr, ça serait mieux. Je ne suis pas spécialiste encore une fois, mais j’entends tout le débat : s’il n’y a pas de packaging, les produits sont cassés et s’ils sont cassés, on les jette. C’est un débat de vie publique dont je ne maîtrise pas tous les enjeux. En revanche, il y a une chose que je maîtrise, c’est le concept d’analyse du cycle de vie : il faut que quand le consommateur achète un produit recyclé, il puisse s’assurer que ça a bien généré une économie de CO₂. Et il faut être vigilant sur ce point, c’est sûr.

Viviane : De la même manière, les clients auxquels tu vas vendre ta fibre de carbone, tu leur proposes un produit dégradé ou différent ? Est-ce qu’il peut être employé dans des secteurs industriels dans lesquels il y a une demande pressante comme l’automobile à hydrocarbure ?

Benjamin : Il est différent. C’est un produit très technique qui a des performances et des caractéristiques très spéciales. On récupère des matériaux en fibres de carbone qui proviennent de pales d’éoliennes. Une pale d’éolienne techniquement, c’est similaire à une aile d’avion. C’est très sophistiqué. Les déchets viennent également de l’aviation. Ce matériau, une fois transformé peut être très bien utilisé pour l’automobile parce qu’entre un avion et une voiture, il n’y a pas les mêmes besoins. Ce qu’on recherche chez Fairmat, c’est ce qu’on appelle l’effet ricochet. Ce qu’on fait, c’est bien, ce n’est pas parfait, mais c’est bien. On est sur une trajectoire et on vise la perfection au fur et à mesure des années. Si on arrive à permettre à des industries de bénéficier d’avantages dans leurs produits ou dans leur cycle de vie là, on a un ricochet, on va gagner du CO₂ et on va en faire gagner à nos clients. — Viviane : Tu reprends le même argument que pour Expliseat : on ne vous vend pas un produit, mais une économie de carbone. — Exactement ! — Et puis derrière en plus, si on peut encore recycler, c’est encore un gain. Et tu vois, il y a des choses inattendues. Tu prends toute l’industrie des salons professionnels. Les salons, ce sont des zones où les gens se rencontrent pour monter leurs produits, il y a des acheteurs, des vendeurs… Quand tu finis un salon, tu vois de millions de m³ de cloisons, planchers, escaliers, estrades et autres qui partent à la benne. Tout est jeté. Il y a du bois, de l’alu du plexi et pas mal de fibre de carbone. C’est horriblement polluant ! Si nous, on arrive à remplacer une partie de ces matériaux, même une fraction par des matériaux recyclables. On peut aider les acteurs, les promoteurs de salon qui s’engagent dans une démarche éco responsable à récupérer ces matériaux. Là, c’est génial, tu peux imaginer des salons qui sont en cycles fermés. Je pense qu’il n’est pas question d’arrêter les salons, sur le principe, ce sont des moments de rencontres fantastiques, mais avec un petit effort, on peut le faire avec un impact environnemental bien moindre.

 
 
 
 

Viviane : Chez Fairmat, vous avez développé un brevet propre au recyclage de la fibre carbone, est-ce qu’il peut s’adapter au recyclage de matériaux différents ou est-ce que votre méthodologie est transposable ?

Benjamin : En fait, Fairmat aujourd’hui, c’est une société de recyclage de composite carbone. C’est déjà un immense marché, des centaines et des millions de tonnes, colossales, mais c’est aussi effectivement un protocole de travail pour développer un recyclage vertueux. On se laisse la possibilité d’étendre nos solutions à divers matériaux, si ça a du sens écologique et je reviens toujours à l’idée : est-ce que ce qu’on recycle va coûter moins cher en énergie que ce qu’il faut pour faire une matière neuve. C’est la clé ! Ce protocole de développement qu’on a mis en place aujourd’hui, bien sûr on va pouvoir l’appliquer à divers matériaux. — Viviane : Est-ce qu’au-delà de ça, vous seriez prêts à ouvrir ce protocole en open source, dans un esprit de collaboration et se dire que nous sommes tous interdépendants et que plus on va vite, mieux c’est pour tout le monde ? Ou c’est votre asset et vous le gardez pour vous ? — Non, franchement, le plus gros asset c’est l’humain. Tous les collaborateurs, moi y compris, tous nos investisseurs, sont à fond dans cette mission de résoudre le problème des composites carbone à l’échelle mondiale. Toutes les options sont sur la table. L’open source, ça peut avoir du sens, mais il faut être en mesure de l’animer. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Animer des communautés internationales, c’est mettre en place tout un système de gestion de données. Ça n’a pas forcément d’impact économique particulier, ça change le business model et ça n’empêche pas de faire des sociétés qui fonctionnent très bien, mais il faut être en mesure de le faire et on ne sait pas le faire. C’est le premier point et deuxièmement, c’est une option qui est regardée comme plein d’autres, mais ce qui compte, l’asset de l’entreprise comme tu dis, c’est cette volonté d’arriver à atteindre notre mission, sur laquelle nous sommes en capacité de réussir à tous points de vue. C’est-à-dire que technologiquement, techniquement, financièrement et du point de vue de la vision, on a tout ce qu’il faut pour réussir. Et je crois que toute entreprise ne repose que sur de l’humain, je crois qu’il n’y a rien d’autre. Sinon, il y a des ordinateurs et les ordinateurs ne savent pas faire d’entreprise.

Viviane : La première usine est en France. Est-ce que dans un principe écologique tu envisageras tes futures implantations à proximité des marchés, en Asie par exemple ?

Benjamin : Oui bien sûr. On crée notre première usine en ce moment, donc on va commencer des campagnes d’analyses beaucoup plus fines en termes de cycle de vie et donc de mesures des impacts et des émissions relatives sur la production, la logistique… Mais effectivement, le recyclage, c’est une activité locale pour limiter les coûts de transport et les émissions de CO₂ liés au transport. On aura forcément besoin d’aller implanter des sites localement. La question, c’est sur quelle unité de distance, est-ce que c’est au niveau national, régional ou continental. On aura une vision correcte l’année prochaine, c’est notre plan. Mais on a déjà une unité de production conséquente pour démarrer.

Viviane : Vous êtes partis, tu le disais, avec de gros moyens financiers. C’est assez exceptionnel en phase d’amorçage de lever 8,6 millions d’euros. Il y a justement Alan qui avait levé plus de 11 millions d’euros, mais c’est assez rare. Qu’est-ce que qui a motivé ton fonds Singular à tenter l’aventure avec vous sur la base d’une idée ou d’un brevet ?

Benjamin : C’est ce qu’on s’est dit au début de cette conversation. Il y a une spécificité à toujours vouloir opposer écologie et capitalisme, progrès écologique et investissement. Et d’ailleurs, quand on voit parfois des propositions d’investissements écologiques, le marketing n’est pas fait sur l’investissement financier, mais sur l’écologie. Je suis persuadé que la transformation écologique ne peut se produire que par une réussite économique. Après, on appelle réussite économique ce qu’on veut, ça peut être l’argent dans les caisses de la société, ça peut être aussi les achievements personnels des collaborateurs, des réussites sociales, peu importe, mais ma vision, c’est qu’en 2021, il n’y a réussite de l’entreprise que si elle est parallélisée avec une réussite économique et chacun y met ses critères ; on change de paradigme effectivement. Fairmat, c’est un projet qui est sain, qui est écologique, qui est capable d’avoir un impact mondial et qui ait aussi une équité globale. C’est ce que veut dire notre nom : Fair, c’est l’équité qui est aussi pour nos actionnaires. C’est-à-dire que nos actionnaires s’y retrouveront en même temps que la population mondiale qui profitera d’une baisse des émissions de CO₂ et c’est ça qui nous permet d’avoir cette ambition d’y arriver. C’est un nouveau paradigme et il y a plein de sociétés qui aujourd’hui sont en mesure de lever des fonds avec des investisseurs de premier rang, sérieux qui sont là pour réussir leur projet et qui savent très bien que la réussite environnementale d’un projet, c’est une réussite économique. Et ça marche et tant mieux.

Viviane : Comment est-ce que vous travaillez avec Singular ? Est-ce qu’il y a une relation de mentoring ?

Benjamin : Ils accompagnent leurs startups de manière extrêmement soigneuse. C’est un fonds très proche des fondateurs et qui travaille positivement au succès de l’entreprise. De toute façon, c’est pareil, une entreprise qui réussit tu sais, c’est une combinaison magique d’une équipe qui réussit, d’investisseurs qui réussissent et d’un marché qui est prêt à accepter le produit ou l’innovation. Si un élément n’est pas au rendez-vous, la magie ne se produit pas.

Viviane : Tu parlais d’équité. Quelle est ta conception de la gouvernance et comment tu imagines l’avenir de l’organisation de ton entreprise et un partage équitable de la valeur ajoutée de l’entreprise ?

Benjamin : La notion la plus forte dans l’entreprise, c’est la notion de trajectoire et de dire, peu importe le point de départ, ce qui compte c’est la direction de l’intention en termes écologiques. C’est pour ça que nos partenaires industriels sont très heureux de travailler avec nous et nous avec eux, et on s’interdit tout jugement par rapport à leur point de départ. On peut juste se dire une chose, c’est qu’une société, quel que soit son point de départ, si elle met en œuvre des ressources pour trouver une solution à l’incinération, travailler avec eux et nous confier la responsabilité de leurs déchets, c’est déjà une trajectoire fantastique. Cette notion de trajectoire est très forte chez nos collaborateurs et j’en suis vraiment ravi. Ensuite en termes de gouvernance, on travaille dessus parce qu’aujourd’hui, nous sommes 18 et on va recruter 60/70 personnes. C’est une organisation qui bouge beaucoup. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes sur une trajectoire assez décentralisée pour une raison très simple : on pense que pour atteindre notre mission, il faut qu’on aille vite. Et pour aller vite, il faut que les gens soient en situation d’autonomie. Parce que sinon, la direction risque de devenir rapidement un goulot d’étranglement pour les équipes et ça, ça nous semble un problème. Donc on est en train de mettre en place une gouvernance avec beaucoup d’autonomie, ce qui veut dire que les gens sont extrêmement bien formés et que les objectifs de chacun sont extrêmement clairs pour que chacun puisse prendre des décisions rapidement, en toute autonomie et des décisions qui vont dans le sens commun. On y travaille actuellement, sur des variations plus ou moins innovantes et en fonction du niveau d’innovation, bien sûr, on partagera avec l’ensemble de la communauté : ce qu’on a fait, pourquoi on l’a fait et comment ça marche. En espérant que ça puisse inspirer d’autres sociétés. — Viviane : Donc sur ce sujet, il faut que nous nous retrouvions d’ici quelques mois et qu’on suive l’évolution de Fairmat pour que tu nous racontes, comment en fonction de la mission d’entreprise vous avez choisi d’embarquer les collaborateurs, sous quelle forme. — Exactement !

Viviane : Merci infiniment, Benjamin, pour tout ce temps que tu viens de passer avec moi. C’était passionnant cette nouvelle vision de l’éco conception, de la responsabilité des entreprises. Qu’est-ce qu’on souhaite à Fairmat ?

Benjamin : Simplement de continuer sa trajectoire. Elle est très ambitieuse. Aujourd’hui, les choses se passent dans le sens que nous avions prévu. — Viviane : Je te pose la question et en même temps, quand je t’entends et quand je te vois, pétri d’une vision humaniste, je prévois la réponse : être une licorne française comme Alan, ça te fait rêver ? C’est une ambition ? — C’est sûr, c’est très « fancy », c’est sûr que c’est considéré comme un jalon pour une entreprise aujourd’hui. On serait heureux de le passer, mais ça n’est pas dans le plan stratégique en interne (rires) ! Si on atteint ce stade, on en sera tous contents bien sûr !

[1]La fibre de carbone est obtenue en filant un prépolymère précurseur, généralement du polyacrylonitrile (ou PAN). Il s’agit d’une matière plastique non durcie qui est transformée en un fil très fin. Ce dernier est traité à haute température afin d’éliminer tout ce qui n’est pas du carbone pur. Les fibres en carbone, fines de 3 à 5 micromètres, sont ensuite regroupées en nappes de quelques centaines de fibres, puis tressées pour former des tissus, entièrement de carbone. L’étape suivante consiste à imprégner ce tissu d’une résine encore liquide. Enfin, quand on souhaite créer une pièce en carbone, le tissu imprégné est découpé puis déposé en couches successives sur un moule et l’ensemble est mis à cuire entre 100 et 200 °C pendant une durée allant de 30 minutes à plusieurs heures. La cuisson permet de polymériser la résine semi-liquide en un matière dur et rigide.La pièce finale, une fois cuite est en polymère durci, renforcée de milliers de fins fils de carbone tissés entre eux. L’ensemble obtenu est une pièce extrêmement rigide et dure, mais légère également. Source : https://couleur-science.eu/?d=bb7ac8--cest-quoi-la-fibre-de-carbone

 
 

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